Les absurdités belges et le non respect des individus et de leurs droits de base.
Œuvre des siècles, la frontière linguistique était fluctuante, mouvante, et variait selon la volonté des hommes. Depuis 1947, il est désormais impossible d’en connaître les mouvements. Deux grandes phases sont à retenir. La première date de 1932. Sous la pression conjointe des mouvements flamand et wallon, la frontière des langues acquiert alors un caractère politique. La seconde, en 1963, empêche désormais le tracé de varier suivant la volonté des hommes. Clichée définitivement, elle perdra son caractère linguistique et deviendra une frontière politique.
Depuis 1846, à l’initiative d’Adolphe Quételet (20), et sous la forme d’un recensement officiel, la population belge est identifiée tous les 10 ans, tant sous l’aspect de la composition de famille, de l’activité professionnelle que de la langue parlée. L’objectif des recensements est de procurer à l’Etat les données statistiques indispensables à sa bonne gestion. L’aspect linguistique est, alors, accessoire. Il en sera tout autrement des résultats du recensement de 1930. Par les lois linguistiques de 1932 (21), les réponses apportées au volet linguistique de ce recensement sont utilisées pour définir les limites territoriales des régions unilingues wallonne et flamande, et de la région bilingue de Bruxelles. La frontière linguistique est alors mouvante, elle dépend du résultat des recensements décennaux de population. Les événements de mai 40, en supprimant le recensement prévu cette année-là, ne dénoueront pas le nœud d’un problème qui réapparaît en 1947. A la frontière des langues et à la périphérie de Bruxelles, l’usage de la langue française progresse. A Enghien, si la connaissance du français passe entre 1930 et 1947 de 90 à 96% sa pratique la plus fréquente passe de 47 à 89%. La majorité change et la pratique du flamand tombe loin en dessous des 30% nécessaires à la communication dans les deux langues ! A Bruxelles, toute l’agglomération devient à majorité francophone par la francisation de Molenbeek, Jette, Koekelberg et Anderlecht auxquelles viennent s’ajouter Ganshoren, Evere et Berchem-Sainte-Agathe; d’autres communes périphériques se francisent: les Flamands alarmés parlent d’une "tache d’huile" à propos de Bruxelles dont les communes bilingues étaient passées de 16 à 19 en 1954.
Le phénomène de francisation est réel. Le tracé de la frontière linguistique se déplace vers le Nord, suivant la volonté des hommes. Sous la pression du mouvement flamand, relayé par le CVP, le volet linguistique du recensement prévu le 1er janvier 1960 et reporté au 31 décembre est purement et simplement supprimé. En effet, deux cents bourgmestres flamands ont refusé de le remplir et l’ont renvoyé au ministère de l’Intérieur. Cet acte de désobéissance civique est "sanctionné" par... l’adoption rapide d’une loi modifiant la loi de 1932 et supprimant le volet linguistique des recensements. L’opposition wallonne à cette loi fut de peu d’importance tant était grand, dans le Mouvement wallon comme dans le Mouvement flamand, le désir de fixer définitivement la frontière linguistique sur le modèle des travaux du Centre Harmel (22) (ligne Jan Verroken – Jean Van Crombrugge).
En 1963, par les lois Gilson, du nom du ministre de l’Intérieur de l’époque, le tracé de la frontière linguistique est définitivement figé sur base d’une partie du travail réalisé par le Centre Harmel, considérablement modifié; les discussions furent longues et difficiles; l’adoption de la loi n’y mit pas fin. Elle créait en effet des abcès de fixation communautaire, tant à Bruxelles que du côté de la province de Liège, avec les Fourons. Depuis 1947, la Belgique ne dispose plus en cette matière d’aucun outil statistique fiable, établi rigoureusement et accepté par tous, lui permettant d’établir avec précision le tracé d’une frontière des langues, souhaité et accepté par ses habitants. La limite territoriale entre la Wallonie, la Flandre et Bruxelles est ainsi devenue, surtout depuis 1995, une limite d’Etats, une frontière politique entre entités fédérées au sein de l’Etat belge.
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(20) QUETELET Adolphe (Gand 1796, Bruxelles 1874) astronome, mathématicien, démographe, il est l’un des tout grands novateurs scientifiques du XIXe siècle.
(21) Les lois linguistiques de 1932 reconnaissent l’unilinguisme en Flandre et en Wallonie, ainsi que le bilinguisme à Bruxelles et dans les zones jouxtant la frontière linguistique et les régions pouvant se prévaloir d’une minorité de population parlant l’autre langue, d’au moins 30%.
(22) Institué en 1948 à l’initiative du ministre Harmel, le Centre était chargé de chercher des solutions aux problèmes de relation entre les régions.
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