La Flandre, 28e membre de l'UE?
[L'EXPLICATION] Dans le monde rêvé des indépendantistes flamands, la Flandre est libérée du joug belge tout en étant membre de l'Union européenne. Ou pas.
- Un député du parti Vlaams Belang porte un badge appelant à la division de la Belgique, en avril 2010. REUTERS/Yves Herman -
Merci à Mathias Bouquerel d'avoir posé la question à L'explication. Retrouvez tous nos articles de la rubrique L'explication ici
Vouloir être indépendant pour mieux retomber dans l'escarcelle de l'Union européenne, cela n'est-il pas contradictoire?
«Pour ces partis, tout ce qui peut permettre d'affaiblir la Belgique est bon à prendre», explique Regis Dandoy, politologue au Centre d'étude de la vie politique (Cevipol). «Il existe des différences de perception concernant l'adhésion et le sens de la construction européenne, entre la NVA ou le Vlaams Belang (NDLR: extrême droite indépendantiste), mais tous sont conscients de son importance pour la Flandre qui ne pourrait pas vivre en autarcie.»
Alors qu'un peu partout des États de l'Union européenne sont tiraillés par des tensions régionalistes, rien n'est prévu en cas d'éclatement d'un de ses membres. La Belgique paraît être le pays le plus menacé, avec presque trois ans de crises politiques et une année sans gouvernement. Pourtant, les institutions européennes ont toujours pris soin de ne jamais intervenir.
«Les textes européens ne prévoient pas une telle situation. Nous sommes dans le domaine de la politique fiction», commente Régis Dandoy.
Le scénario le plus commenté est donc que ce soit la Flandre qui quitte la maison mère Belgique (avec ou sans négociations préalables) laissant le nom et son héritage légal à l'entité restante (la Wallonie, avec ou sans Bruxelles). En déclarant son indépendance, la Flandre sortirait de facto de l'Union européenne, les traités actuels ne reconnaissant que la Belgique.
Cela pourrait rappeler un cas pourtant fort différent. Lors de la création de l'ancêtre de l'Union européenne, la CEE (Communauté économique européenne en 1957), la France comptait trois départements de plus qu'aujourd'hui: ceux d'Algérie, repoussant les frontières européennes au milieu du Sahara. Leur indépendance les exclut automatiquement de la CEE. Depuis 1962, aucune candidature algérienne à signaler (mais une candidature marocaine rejetée en 1987).
La Région flamande s'est en effet engagée à ne jamais ratifier la Charte des minorités et rien ne dit qu'une fois indépendante, elle le fera ou garantira les droits linguistiques à ses Francophones (environ 200.000 personnes).
De plus, le décret «wonen in eigen streek» (habiter dans sa région) demande aux futurs propriétaires en région flamande d'être capables d'établir «un lien fort avec la commune» pour pouvoir acheter (sauf pour ceux y habitant déjà depuis plus de 6 ans et/ou y travaillant). Présentée comme une mesure sociale pour éviter la montée des prix, elle est aussi décrite comme un moyen détourné pour empêcher l'installation de Francophone en Flandre.
Ces deux textes qui n'ont encore jamais été examinés par la Cour de justice de l'Union européenne pourraient être jugés contraire au droit européen, puisqu'ils instaurent une discrimination et une entrave à la liberté d'installation.
Sur un plan plus administratif, Régis Dandoy fait remarquer que «l'UE demanderait probablement la mise en place d'un échelon administratif provincial [NDLR: déjà existant en Flandre, mais sans réels pouvoirs] pour gérer les fonds européens de cohésion. Certains pays de l'Est avaient dû faire la même chose lors de leur adhésion en 2004».
Et si la capitale européenne reste avec la Flandre, l'Union européenne se retrouverait avec ses institutions situées en dehors de ses frontières.
Certains pays comme l'Espagne, la Roumaine et la Slovaquie pourraient y être réticents en raison de la présence chez eux de tensions séparatistes identiques. Le cas flamand ouvrirait une boîte de Pandore. Ces trois pays n'ont d'ailleurs toujours pas reconnu l'indépendance du Kosovo, datant de 2008. Mais pour Régis Dandoy, nécessité fera loi.
Nous pourrions ainsi imaginer que la Belgique –avant de disparaître– décide de sortir de l'UE, ce qui est possible depuis la mise en place du Traité de Lisbonne et son article 50. Ensuite, une fois dissoute, les deux nouvelles entités présenteraient leur candidature respective.
Il existe un précédent similaire: le cas tchécoslovaque. En effet, ni la République tchèque, ni la Slovaquie n'ont assumé la continuité légale du pays. La fédération a été «dissoute» le 31 décembre 1992 et les deux nouveaux pays ont dû postuler à titre individuel à toutes les organisations internationales comme l'ONU ou le Conseil de l'Europe.
Les Belges pourraient décider dans un compromis de préparer une scission similaire.
Un tel scénario ne devrait pas déranger l'Europe. Il n'est pas rare de voir les chefs d'État et de gouvernements européens jouer avec les traités pour arriver à leurs fins. Dernier exemple en date: le sauvetage financier de la Grèce, qui se fit via un article du Traité de Lisbonne à l'origine prévu pour les «catastrophes naturelles et événements exceptionnels».
Il est aussi difficile d'imaginer les Francophones y renoncer. «Ils restent attachés au nom Belgique», précise Régis Dandoy. Dans cette configuration, ce serait à eux de déposer leur candidature auprès de l'Union européenne et suivre le même processus précédemment évoqué.
Après un référendum consultatif, le Groenland a quitté officiellement l'Union européenne en 1985.
Toujours en «affaires courantes», le gouvernement belge pratique de plus en plus l'adage «nécessité fait loi». En effet, pour permettre au pays de continuer à tourner normalement et d'assumer ses obligations, des largesses sont prises avec la Constitution.
Dernier exemple en date: alors que le gouvernement est démissionnaire et donc par définition non responsable de ses actes, il a obtenu, via un vote du Parlement, le droit de participer à l'opération sous mandat de l'ONU en Libye.
Or, la définition d'un gouvernement en affaires courantes est qu'il ne peut pas prendre des décisions qui engageraient le prochain gouvernement. Quoi de plus engageant qu'une intervention militaire?
Cette situation de piétinement des institutions du pays renforce petit à petit les thèses des nationalistes flamands, et le fossé entre les deux principales communautés du pays. Preuve en est: si demain de nouvelles élections étaient organisées, les nationalistes de la NVA gagneraient encore des voix. Ainsi, cela ne changerait absolument rien d'appeler les Belges aux urnes une nouvelle fois, si ce n'est de démontrer que la théorie de ce même Bart de Wever cité en début d'article est la bonne: l'État belge «s'évapore» petit à petit.
La Belgique est tout simplement en train de devenir un État fantôme ou fantoche, membre de l'Union européenne car existant toujours officiellement mais au sein duquel gravitent en liberté deux entités qui n'ont plus rien de connecté.
Jean-Sébastien Lefebvre
Remerciements à Ondrej Novotny du Cevipol pour ses précisions sur le cas tchécoslovaque.
L’idée de cet article nous a été soufflée par un internaute sur explication @slate.fr. Vous aussi vous vous posez une question sur l'actualité? Envoyez un mail à explication @ slate.fr.
«Une petite nation ancrée dans un réseau supranational comme l’Union européenne me semble donc être très bien placée pour s’occuper de l’avenir. (...). Nous croyons que l’Europe et les régions sont les niveaux du futur, les niveaux vers lesquelles notre pays évoluera inévitablement.»Tels sont les mots de Bart de Wever, le leader de l'Alliance néo-flamande (NVA), le parti indépendantiste flamand vainqueur des élections de juin 2010 en Flandre, lors d'un discours devant le Cercle de Wallonie en novembre dernier. Un argument classique pour les tenants de l'Europe des régions: les grands ensembles étatiques seraient devenus obsolètes.
Vouloir être indépendant pour mieux retomber dans l'escarcelle de l'Union européenne, cela n'est-il pas contradictoire?
«Pour ces partis, tout ce qui peut permettre d'affaiblir la Belgique est bon à prendre», explique Regis Dandoy, politologue au Centre d'étude de la vie politique (Cevipol). «Il existe des différences de perception concernant l'adhésion et le sens de la construction européenne, entre la NVA ou le Vlaams Belang (NDLR: extrême droite indépendantiste), mais tous sont conscients de son importance pour la Flandre qui ne pourrait pas vivre en autarcie.»
Alors qu'un peu partout des États de l'Union européenne sont tiraillés par des tensions régionalistes, rien n'est prévu en cas d'éclatement d'un de ses membres. La Belgique paraît être le pays le plus menacé, avec presque trois ans de crises politiques et une année sans gouvernement. Pourtant, les institutions européennes ont toujours pris soin de ne jamais intervenir.
«Les textes européens ne prévoient pas une telle situation. Nous sommes dans le domaine de la politique fiction», commente Régis Dandoy.
Scénario 1: la Flandre quitte la Belgique
Cette volonté d'en finir avec la Belgique est principalement flamande. En Wallonie, le seul parti acquis à cette cause –le Rattachement Wallonie France– dépasse à peine 1% des voix.Le scénario le plus commenté est donc que ce soit la Flandre qui quitte la maison mère Belgique (avec ou sans négociations préalables) laissant le nom et son héritage légal à l'entité restante (la Wallonie, avec ou sans Bruxelles). En déclarant son indépendance, la Flandre sortirait de facto de l'Union européenne, les traités actuels ne reconnaissant que la Belgique.
Cela pourrait rappeler un cas pourtant fort différent. Lors de la création de l'ancêtre de l'Union européenne, la CEE (Communauté économique européenne en 1957), la France comptait trois départements de plus qu'aujourd'hui: ceux d'Algérie, repoussant les frontières européennes au milieu du Sahara. Leur indépendance les exclut automatiquement de la CEE. Depuis 1962, aucune candidature algérienne à signaler (mais une candidature marocaine rejetée en 1987).
Un veto néo-belge?
Appliquant déjà le droit européen et économiquement compétitif, le processus d'adhésion du nouvel État flamand pourrait être conclu rapidement. Sauf si... la Belgique résiduelle décide de mettre son veto pour une raison quelconque, en particulier au nom du respect des minorités francophones.La Région flamande s'est en effet engagée à ne jamais ratifier la Charte des minorités et rien ne dit qu'une fois indépendante, elle le fera ou garantira les droits linguistiques à ses Francophones (environ 200.000 personnes).
Quelques modifications à prévoir
Toute nouvelle adhésion nécessitant l'unanimité, la Wallonie pourrait s'en servir pour exiger des réformes. En particulier concernant le code du logement flamand (Wooncode). Voté en 2008 par le Parlement flamand, il impose –de façon détournée– des tests de néerlandais aux candidats à un logement social en Flandre qui doivent soit le parler, soit montrer la volonté de l'apprendre.De plus, le décret «wonen in eigen streek» (habiter dans sa région) demande aux futurs propriétaires en région flamande d'être capables d'établir «un lien fort avec la commune» pour pouvoir acheter (sauf pour ceux y habitant déjà depuis plus de 6 ans et/ou y travaillant). Présentée comme une mesure sociale pour éviter la montée des prix, elle est aussi décrite comme un moyen détourné pour empêcher l'installation de Francophone en Flandre.
Ces deux textes qui n'ont encore jamais été examinés par la Cour de justice de l'Union européenne pourraient être jugés contraire au droit européen, puisqu'ils instaurent une discrimination et une entrave à la liberté d'installation.
Sur un plan plus administratif, Régis Dandoy fait remarquer que «l'UE demanderait probablement la mise en place d'un échelon administratif provincial [NDLR: déjà existant en Flandre, mais sans réels pouvoirs] pour gérer les fonds européens de cohésion. Certains pays de l'Est avaient dû faire la même chose lors de leur adhésion en 2004».
Petits changements dans le traité
Le temps des négociations permettra aussi de revoir la place de la «Belgique résiduelle» en termes de nombre de sièges au Parlement européen et de votes au Conseil, puisqu'ils sont calculés en fonction de l'importance du pays. Si la Belgique d'aujourd'hui compte 10 millions d'habitants, la Belgique moins la Flandre ne représente que 4 millions de personnes, et seulement 3 sans Bruxelles.Et si la capitale européenne reste avec la Flandre, l'Union européenne se retrouverait avec ses institutions situées en dehors de ses frontières.
«Cette situation permettrait une accélération du processus d'adhésion. Un statut spécial devra aussi être accordé aux fonctionnaires européens qui deviendraient flamands. Quant aux eurodéputés néerlandophones élus, ils devront démissionner.»
Ne pas oublier: se faire reconnaître
La Flandre devra surtout et avant toute chose persuader les 27 pays membres de l'UE de la reconnaître sur le plan international. Car sans reconnaissance, pas d'adhésion possible.Certains pays comme l'Espagne, la Roumaine et la Slovaquie pourraient y être réticents en raison de la présence chez eux de tensions séparatistes identiques. Le cas flamand ouvrirait une boîte de Pandore. Ces trois pays n'ont d'ailleurs toujours pas reconnu l'indépendance du Kosovo, datant de 2008. Mais pour Régis Dandoy, nécessité fera loi.
«Ils ne pourront qu'accepter la situation. Si la Flandre devient indépendante, il sera trop tard pour tenter de faire pression en l'ignorant. Il sera alors plus utile de l'intégrer et son poids commercial joue en sa faveur.»
Scénario 2: le bricolage
«Dans un processus planifié de désintégration de la Belgique, tout pourrait être préparé à l'avance et permettre un bricolage juridique de transition», envisage le chercheur.Nous pourrions ainsi imaginer que la Belgique –avant de disparaître– décide de sortir de l'UE, ce qui est possible depuis la mise en place du Traité de Lisbonne et son article 50. Ensuite, une fois dissoute, les deux nouvelles entités présenteraient leur candidature respective.
Il existe un précédent similaire: le cas tchécoslovaque. En effet, ni la République tchèque, ni la Slovaquie n'ont assumé la continuité légale du pays. La fédération a été «dissoute» le 31 décembre 1992 et les deux nouveaux pays ont dû postuler à titre individuel à toutes les organisations internationales comme l'ONU ou le Conseil de l'Europe.
Les Belges pourraient décider dans un compromis de préparer une scission similaire.
Un tel scénario ne devrait pas déranger l'Europe. Il n'est pas rare de voir les chefs d'État et de gouvernements européens jouer avec les traités pour arriver à leurs fins. Dernier exemple en date: le sauvetage financier de la Grèce, qui se fit via un article du Traité de Lisbonne à l'origine prévu pour les «catastrophes naturelles et événements exceptionnels».
Scénario 3: une Flandre belge
Le moins probable de tous: la Flandre devient la dépositaire du nom Belgique... Vu le peu d'amour que portent les nationalistes flamands à ce pays, cela serait surréaliste, leur cri de ralliement étant «België Barst»: Crève Belgique.Il est aussi difficile d'imaginer les Francophones y renoncer. «Ils restent attachés au nom Belgique», précise Régis Dandoy. Dans cette configuration, ce serait à eux de déposer leur candidature auprès de l'Union européenne et suivre le même processus précédemment évoqué.
Scénarios originaux: un cas à part
L'histoire de la construction européenne permet de trouver d'autres situations originales comme celle méconnue du Groenland. En 1973, quand le Danemark devient membre l'UE, cette immense île de l'Atlantique nord faisait partie intégrante du territoire danois avant d'acquérir l'autonomie interne en 1979.Après un référendum consultatif, le Groenland a quitté officiellement l'Union européenne en 1985.
«Les habitants l'ont fait par volonté nationaliste mais aussi pour ne pas être soumis aux règles et quotas de pêche européens. Depuis, ils disposent d'un statut “pays et territoires d'outre-mer” dont jouissent aussi certaines collectivités françaises, précise Regis Dandoy. Le processus de séparation avec le Danemark se poursuit et le Groenland devrait très probablement devenir totalement indépendant un jour ou l'autre, et donc sortir totalement de l'UE.»
Le scénario du réel: le surréalisme belge
Avant de savoir lequel des possibles scénarios fictions se réalisera (qui n'envisagent pas le recours à la violence), il faudra probablement encore patienter longtemps. Les négociations entre les partis flamands et francophones sont bloquées depuis plus de six mois.Toujours en «affaires courantes», le gouvernement belge pratique de plus en plus l'adage «nécessité fait loi». En effet, pour permettre au pays de continuer à tourner normalement et d'assumer ses obligations, des largesses sont prises avec la Constitution.
Dernier exemple en date: alors que le gouvernement est démissionnaire et donc par définition non responsable de ses actes, il a obtenu, via un vote du Parlement, le droit de participer à l'opération sous mandat de l'ONU en Libye.
Or, la définition d'un gouvernement en affaires courantes est qu'il ne peut pas prendre des décisions qui engageraient le prochain gouvernement. Quoi de plus engageant qu'une intervention militaire?
Cette situation de piétinement des institutions du pays renforce petit à petit les thèses des nationalistes flamands, et le fossé entre les deux principales communautés du pays. Preuve en est: si demain de nouvelles élections étaient organisées, les nationalistes de la NVA gagneraient encore des voix. Ainsi, cela ne changerait absolument rien d'appeler les Belges aux urnes une nouvelle fois, si ce n'est de démontrer que la théorie de ce même Bart de Wever cité en début d'article est la bonne: l'État belge «s'évapore» petit à petit.
La Belgique est tout simplement en train de devenir un État fantôme ou fantoche, membre de l'Union européenne car existant toujours officiellement mais au sein duquel gravitent en liberté deux entités qui n'ont plus rien de connecté.
Jean-Sébastien Lefebvre
Remerciements à Ondrej Novotny du Cevipol pour ses précisions sur le cas tchécoslovaque.
L’idée de cet article nous a été soufflée par un internaute sur explication @slate.fr. Vous aussi vous vous posez une question sur l'actualité? Envoyez un mail à explication @ slate.fr.
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